La Révolution des Œillets mit fin à la dictature au Portugal et donna le coup de grâce à son empire colonial. Du Cap-Vert à l’Angola, du Mozambique à la Guinée-Bissau, retour sur la bande son des années de libération. Une sélection à retrouver dans notre playlist sur Spotify et Deezer.
25 avril 1974 : la “Révolution des Œillets” met fin à quarante-et-un ans de dictature salazariste au Portugal. Ce coup d’État militaire sonne aussi les dernières heures de l’empire portugais en Afrique. Car partout, quand survient ce 25 avril, les luttes indépendantistes ont épuisé les troupes coloniales, tout spécialement en Guinée-Bissau, où la guérilla menée par le PAIGC a libéré des pans entiers du territoire. Les jeunes Portugais appelés à combattre ne veulent plus mourir pour une cause indéfendable. Ce sont d’ailleurs de jeunes officiers qui déclencheront le coup d’État, la radio diffusant en pleine nuit, tel un hymne révolutionnaire, la chanson “Grândola vila morena” de Zeca Afonso. En Afrique aussi, en Guinée-Bissau comme au Cap-Vert, au Mozambique ou en Angola, la musique amplifiait les aspirations des peuples, donnait de la voix aux mouvements de libération, et galvanisait les résistants.
La guerre de décolonisation, de par son énorme impact politique et social, a été la source de nombreuses chansons. Certaines liées directement aux affrontements ou à la vie quotidienne des forces indépendantistes, d’autres à celle des simples civils, à la “saudade” – cette mélancolie du pays, chantée par les exilés… autant de morceaux qui portaient en eux des critiques (tantôt dissimulées, tantôt sans détour) de la colonisation, de la terreur que faisait régner la PIDE (la police politique portugaise également présente dans les colonies), ou encore de l’assimilation culturelle forcée. Tous ces messages, portés par des artistes avides de liberté qui cherchaient à réhabiliter leur culture et leur histoire bafouées, ont contribué à maintenir en vie l’espoir. Jusqu’au terme de ces quinze années de guerre, dont la Révolution des Oeillets sonne le glas. Voici une sélection, forcément non exhaustive, de ces chansons qui font la bande son de la décolonisation et des années qui suivront.
Bonga – « Mona Ki Ngi Xiça » (Angola 72, 1972)
“Attention, je suis en danger mortel
Et je vous ai déjà prévenu
Elle restera et je partirai
Mon enfant
Des hommes cruels sont après elle
Mon enfant
Sur une marée de malheur
Dieu m’a offert cette progéniture
Que j’ai mise au monde
Et elle restera là
Quand je ne serais plus là”
José Adelino Barceló de Carvalho plus connu sous le pseudonyme de Bonga Kuenda, “celui qui se lève et marche”, est une des plus grandes voix de l’Angola. Une voix éraillée que l’on n’oublie pas. Avant de devenir celui que l’on connaît, l’auteur de “Mona Ki Ngi Xiça” brille d’abord en tant qu’athlète pour le compte du Portugal à partir de 1966. Il a alors vingt-trois ans. Sous les couleurs du club lisboète du Benfica, il balaie le record national du 400m, qui mettra dix ans à être battu. Il profite de sa renommée d’athlète pour participer secrètement mais activement à la lutte anticoloniale en informant les militants et journalistes à l’extérieur du pays sur la situation réelle que vit sa patrie. Parallèlement, il se produit sur scène sous le nom de Bonga.
Bonga est démasqué par la PIDE, et contraint à l’exil. La redoutable police d’État de Salazar a découvert que l’athlète et le dénommé Bonga Kuenda ne forment qu’une seule et même personne. Il se réfugie alors à Rotterdam aux Pays-Bas, terre d’accueil de nombreux africains lusophones notamment Cap-Verdiens. C’est là qu’il enregistre son premier album Angola 72 en huit heures avec des musiciens du Cap-Vert pour le label Morabeza. “Mona Ki Ngi Xiça” – « L’enfant que je laisse derrière moi” est un morceau qui se veut le témoin de la cruauté du monde. Une plainte mélancolique sur la douleur de l’exil. L’album arrive clandestinement au Portugal et en Angola dans les valises de Cap-Verdiens et devient la bande son des révolutionnaires luttant pour l’indépendance alors que la dictature portugaise et le régime colonial s’effondrent.
Super Mama Djombo – « Sol Maior Para Comandante » (Sol Maior Para Comandante, 1979)
“Sempri kabesa lantadu, até vitória final!”
(Toujours la tête haute, jusqu’à la victoire finale)
Le Super Mama Djombo est sans conteste le groupe le plus populaire de Guinée-Bissau au moment de son indépendance, le 10 septembre 1974. Formé juste un an avant cet événement, l’orchestre composé d’une quinzaine de musiciens est très productif et se produit déjà aux alentours de Bissau, la capitale. Ils tirent leur nom d’un esprit protecteur que les soldats rebelles invoquent dans leur maquis : le fétiche Mama Djombo. Le groupe joue un rôle majeur dans la modernisation du gumbé, un genre traditionnel particulièrement rythmé que l’on retrouve dans les pays d’Afrique de l’Ouest, mais également de la musique mandingue et d’autres rythmes populaires de la région.
Après dix ans de guérilla contre les forces portugaises, le Super Mama Djombo chante la fierté de l’indépendance et célèbre son héros, le “commandant” Amílcar Cabral sur le titre fleuve “Sol Maior Para Comandante”. Issu de l’album éponyme, le quatrième de leur discographie, l’orchestre rend un hommage triomphant à celui qui mena la Guiné-Bissau vers l’indépendance, bien qu’il ne pût y goûter puisqu’il fut assassiné le 20 janvier 1973 à Conakry, un an avant la date libératrice. Longue révérence, “Sol Maior Para Comandante” occupe une place particulière dans la discographie du Super Mama Djombo, pourtant riche en hymnes et hommages, en retraçant littéralement la trajectoire d’Amílcar Cabral. La chanson est d’ailleurs régulièrement diffusée à la radio guinéenne pour l’anniversaire de l’indépendance, ou lorsqu’il y a un coup d’état (et ils furent nombreux depuis l’indépendance).
Ruy Mingas – « Monangambé » (Monangambé, 1974)
“Le café sera torréfié
Piétiné, torturé,
Il sera noir,
Noir la couleur de l’employé”
(…)
“Qui fait pousser le maïs, et fleurir les orangers,
Des machines
Des voitures
Des femmes
Et des têtes noires pour les moteurs ?”
Neveu de Liceu Vieira Dias, un des créateurs de la semba et membre du légendaire groupe N’Gola Ritmos, Ruy Mingas est un chanteur, compositeur et guitariste qui a marché dans les pas de la musique de son oncle, tout en s’en émancipant. À l’instar de Bonga, Ruy connaît d’abord une fructueuse carrière d’athlète dans ses jeunes années au Portugal sous les couleurs du Benfica. Très attiré par la poésie depuis son adolescence, il tombe sur le poème “Monangambé”, qui signifie “l’employé”, d’António Jacinto. Ce poème d’intervention politique et sociale d’une grande intensité ne le laisse pas insensible.
Le texte en question traite de l’exploitation des Angolais par les Portugais dans une série d’interrogations sur les profits que tirent les colons de leur domination. Il se dit alors qu’il doit mettre en musique ce message essentiel et être entendu de tous. A l’abri des regards et des oreilles indiscrètes, Rui qui se rebaptisera Ruy en 1974, comme pour marquer une rupture avec l’influence portugaise, se met à composer ce qui deviendra l’hymne humaniste que l’on connaît et qui fera de lui l’une des voix pour l’indépendance. En 1975, une fois l’Angola indépendante du Portugal, Ruy Mingas compose l’hymne national de son pays “Angola Avante!” avec Manuel Rui Monteiro. Par la suite, il met entre parenthèses la musique pour se consacrer à une carrière politique, et devient notamment ministre des sports et ambassadeur de l’Angola au Portugal.
Teta Lando – « Angolano Segue em Frente » (Independência, 1974)
“Ce chemin est difficile
Mais il apporte le bonheur
Ce chemin est difficile
Mais il mène à la liberté”.
“Cela n’a d’importance pour personne
Si vous êtes noir
Cela n’a d’importance pour personne
Mais ce qui compte, c’est votre volonté
De rendre l’Angola meilleure
Une Angola véritablement libre
Une Angola indépendante”
Le grand Alberto Teta Lando enregistre l’album Independência à Luanda en septembre 1974 pour la CDA (Companhia de Discos de Angola) de Sebastião Coelho, un an avant l’indépendance de l’Angola. Il s’agit de l’unique album de Teta Lando publié dans son pays avant son exil pour Paris en 1979, où il passa la majeure partie de sa carrière. Au moment où la guerre de décolonisation en Angola s’empêtre dans les confrontations entre les factions de libération du MPLA et FNLA, il chante sur ce disque les aspirations de son peuple, se fait le messager des anonymes et transforme les peines en message d’espoir et de lutte. “Angolano Segue Em Frente” est de cette trempe et illustre parfaitement ce désir d’union et de paix malgré les difficultés rencontrées pour atteindre cet objectif.
Consacré par son peuple et fort d’un succès retentissant avec cet album, Teta Lando est pourtant menacé dû à sa proximité avec le FNLA et doit fuir. Avant la déclaration d’indépendance de l’Angola par le MPLA d’Agostinho Neto, le 10 novembre 1975, Teta fuit pour le Zaïre avec femme et enfants. Lui et sa famille s’installeront ensuite dans la capitale française, où il s’éteindra en 2008, âgé de seulement soixante ans.
La voix de Teta est soulignée par le talent d’autres artistes angolais renommés qu’il va chercher dans des groupes populaires. On compte ainsi la présence des guitaristes Zé Keno des Jovens do Prenda, Carlito Vieira Dias, fils du fondateur du légendaire N’Gola Ritmos, Liceu Vieira Dias, et Zeca Terylene de l’Africa Show. Aux percussions, il fait appel à João Morgado des Negoleiros do Ritmo, Gregório Mulato des Águias Reais sans oublier Vate Costa des Kiezos.
Coral Das Forças Populares De Libertação De Moçambique – « A Unidade » (Hinos Revolucionários De Moçambique, 1975)
“Du fleuve Romuva à Maputo
Contre l’oppression et l’exploitation
Le peuple lutte, armes en mains
Vive FRELIMO et l’avant-garde
De tout le peuple mozambicain.”
La Chorale des Forces Populaires de Libération du Mozambique chante avec fierté l’unité retrouvée du peuple sur cet hymne. “A Unidade” (L’ unité) est l’un des chants révolutionnaires les plus populaires du Mozambique. Ce chant exprime l’espoir retrouvé au travers d’idées clés dans le style le plus direct et sans fioritures.Il s’agit également d’un chant d’orientation communiste à la gloire du FRELIMO, le Front de Libération du Mozambique. “Notre patrie sera la tombe du capitalisme et de l’exploitation”, chantent à l’unisson et avec ferveur les voix de la chorale. Ce parti politique indépendantiste est né en 1962 de la fusion de petits groupes nationalistes des diverses régions du pays pour lutter contre la domination coloniale portugaise. En pleine guerre froide, il opte pour la voie socialiste et reçoit l’aide du bloc de l’Est, dont on sent l’influence dans l’encadrement de la jeunesse comme dans l’utilisation de la culture à des fins d’édification idéologique. La chorale des forces populaires en est l’exemple le plus probant. Enregistré le 20 juin 1975, cinq jours seulement avant la déclaration d’indépendance du pays, dans les locaux de la Radio Club du Mozambique, ce recueil d’hymnes révolutionnaires témoigne parfaitement de son époque.
Voz de Cabo Verde – « Combatentes P.A.I.G.C » (Independência, date inconnue)
“Vive Cabral
Vive les combattants du P.A.I.G.C
Vive la liberté”
Groupe cap-verdien formé à Rotterdam, aux Pays-Bas, au milieu des années 60, le Voz de Cabo Verde est le premier groupe cap-verdien à se revendiquer comme tel à l’étranger et à rencontrer le succès en dehors de l’archipel. En mettant le cap vers l’Europe, “la Voix du Cap-Vert” anime les soirées où se retrouve la diaspora au son remuant de la coladeira, mais aussi de la mélancolique morna, qui ne trouvera pas d’écho chez les Européens avant la révélation de Cesária Évora. Aux allures de formation afro-cubaine (autre que de la musique cap-verdienne, ils jouent du ou du cha-cha-cha ou de la salsa qu’on appelle alors patchanga), le groupe est fondé par le saxophoniste et clarinettiste Luis Morais, le chanteur, trompettiste et bassiste Morgadinho, le batteur Frank “Cavaquinho” Cavaquim, le bassiste Jean da Lomba, et le guitariste Toy Ramos. Ils seront rejoints ensuite par un autre chanteur, Djosinha, et l’organiste Chico Serra.
Après des tournées successives couronnées de succès qui les emmènent en France, au Portugal, aux Etats-Unis, au Cap-Vert, en Guinée mais aussi en Angola, le Voz de Cabo Verde se dissout en 1970. Certains musiciens du groupe suivent alors une carrière solo en continuant d’utiliser le nom Voz de Cabo Verde. C’est probablement au cours de cette décennie que des membres initiaux de l’ensemble enregistrent Independencia à Lisbonne. Sur cet album, inévitablement marqué par l’indépendance de l’archipel atlantique le 5 juillet 1975, on retrouve “Combatentes P.A.I.G.C”. C’est l’emblématique José Carlos Schwarz, dont on aborde l’histoire plus bas dans ces lignes, qui est l’auteur de cet hommage enthousiaste aux soldats du P.A.I.G.C sur un groove afro-funk revu à la sauce cap-verdienne.
Grupo de Acção Cultural – Vozes na Luta (GAC)– « Viva A Guiné Bissau Livre Independente » (A Cantiga É Uma Arma – 1975)
“Mesdames et messieurs, nous allons maintenant chanter
La Guinée-Bissau, le Mozambique et l’Angola
Et les travailleurs portugais et africains
Frères dans la même lutte contre les exploiteurs
De Guinée-Bissau, du Mozambique et de l’Angola
(…)
Et du Cap-Vert
Et de São Tomé
Et de l’île de Príncipe
Et de Timor”
Au Portugal, le Groupe d’Action Culturel – Voix en Lutte est un collectif de musiciens et chanteurs révolutionnaires qui s’est particulièrement distingué dans son engagement contre le régime de Salazar. Il est fondé par José Mário Branco en mai 1974, juste après la Révolution des Œillets pour soutenir le mouvement révolutionnaire à la suite de la chute du régime salazariste. Les morceaux du groupe ont servi à soutenir de nombreuses causes, prouvant ainsi que la “chanson est une arme” pour reprendre le titre de leur album, qui est en fait la somme de leurs premières chansons publiées en singles, sur lequel figure “Viva a Guiné-Bissau Livre E Independante”. Pour le moins limpide, ce titre est un véritable réquisitoire contre la colonisation, engagé pour la souveraineté de la Guinée et des autres territoires africains encore sous l’emprise portugaise à l’époque. Entre 1976 et 1978, le GAC publie trois albums majeurs (Pois Canté!!, … E Vira Bom, … Ronda De Alegria!!) marqués par la chanson traditionnelle portugaise et les messages d’intervention politique. Ils laissent un héritage qui est rapidement devenu une référence en la matière au Portugal et qui continue d’avoir une résonance particulière encore aujourd’hui.
Os Tubarões – « Labanta Braço » (Pépé Lopi – 1976)
“Criez peuple indépendant
Criez peuple libéré
Cinq Juillet synonyme de liberté
Cinq Juillet la voie ouverte au bonheur
Criez “Vive Cabral”
Honneur aux combattants de nos terres”
Os Tubarões, comprenez les Requins, est un groupe cap-verdien mythique formé en 1969 à Praia et mené par le regretté chanteur Ildo Lobo, emporté en 2004 d’une crise cardiaque. Ces Requins, en référence aux squales qu’il est fréquent de rencontrer à proximité des eaux de l’archipel, ont sans doute été le groupe le plus représentatif de la musique du Cap-Vert dans les années qui suivent l’indépendance. Sur Pépé Lopi, leur premier album sorti en 1976, ils invitent le peuple à lever la voix pour la liberté le poing levé au son d’une coladeira euphorique avec le titre phare “Labanta Braço”.
Cette chanson est le symbole de cette époque où le groupe galvanise le public et utilise l’auto-détermination pour montrer que le chemin vers la liberté est bel et bien en marche. C’est sur ce point que revient justement le bassiste du groupe Mário Bettencourt, plus connu sous le nom de Russo, pour le média portugais Ípsilon en 2015 : “Cette chanson était le fleuron de cette époque et pendant longtemps, lorsque nous la jouions, elle générait une hystérie totale car les gens avaient l’impression que nous allions vraiment vers la liberté.” Vingt ans après l’arrêt du groupe en 1994, dix ans après et la disparition d’Ildo Lobo, Os Tubarões a réuni ses vétérans pour reprendre le chemin de la scène et offrir quelques concerts exceptionnels, comme lors de l’Atlantic Music Expo de 2016 à Praia. Les Requins auront laissé leur empreinte dans l’histoire de la musique cap-verdienne grâce à leur répertoire riche et fédérateur qui continue de traverser les générations.
José Carlos Schwarz & le Cobiana Jazz – « Na Colonia » (Vol. 1. Guinée Bissau, 1978)
“Nos frères de Bissau ne nous oubliez pas
Si vous pensez que nous sommes morts
Nous ne sommes pas encore morts, nous sommes assis ici dans la colonie”
Un jour, nous devrons retourner à Bissau
Un jour, un jour qui tarde à arriver”
Poète et chanteur indissociable du P.A.I.G.C, José Carlos Schwarz est considéré comme l’un des pionniers de la musique moderne bissau-guinéenne et un acteur majeur du combat pour l’indépendance de son pays. Il fonde le Cobiana Jazz au début des années 70 aux côtés d’Aliu Bari ainsi que de Mamadu Bá e Samakê, qui devient rapidement le groupe le plus influent de la Guinée-Bissau avec le Super Mama Djombo. En plaçant l’identité et la culture nationale au cœur de leur musique chantée en créole, le groupe joue un rôle crucial dans la formation d’une conscience politique et sociale engagée. Porté par les idéaux indépendantistes que véhiculent Amílcar Cabral et son bras droit Filinto Barros, deux figures centrales du PAIGC, José Carlos s’implique dans des actions de résistance contre le pouvoir colonial. Lors d’une opération de sabotage dans le centre de Bissau, il est arrêté et envoyé sur l’île pénitentiaire de Galinhas, où il sera incarcéré et torturé pendant deux ans (et qui lui inspirera par la suite l’un de ses plus beaux titres, “Djiu Di Galinha”).
Libéré en 1974, ce douloureux passage sera le point de départ quelques années plus tard du crépusculaire “Na Colonia”, publié en 1978 sur le label français Sonafric. La voix chargée d’émotions, il se replonge dans ses souvenirs et s’adresse à ses camarades de Bissau pour leur dire que l’espoir n’est pas perdu, que lui et les autres détenus ne sont pas morts et qu’ils reviendront un jour. Un sort que de nombreux prisonniers politiques n’ont pas connu et que cette chanson déchirante met également en lumière. Après l’indépendance, José Carlos est nommé Directeur de l’art et la culture de Guinée-Bissau. En 1977, alors que son influence et ses opinions commencent à gêner sérieusement le pouvoir politique en place, il est envoyé comme chargé d’affaires de l’ambassade de Guinée-Bissau à Cuba. C’est là-bas qu’il mourra tragiquement cette même année dans un crash d’avion, non loin de La Havane. Il avait vingt-sept ans.
Waldemar Bastos – « Velha Chica » (Estamos Juntos – 1983)
“Et nous, les enfants de l’école
Nous demandions à grand mère Chica
Quelle était la raison de cette pauvreté
De notre souffrance
Attention mes enfants, ne parlez pas de politique
Ne parlez pas de politique, ne parlez pas de politique”
Le regretté Waldemar Bastos, décédé en août 2020 à l’âge de 66 ans, était l’une des plus belles voix que compte la musique angolaise. Tout au long de sa carrière, le natif de M’Banza Congo, a porté et sublimé les peines du peuple angolais de sa voix tremblante habitée de mélancolie. Avant le 25 avril 1974 et le début même de sa carrière de chanteur, il compose “Velha Chica”. L’histoire d’une vieille dame, cette “velha chica”, qui cache les raisons de la misère en Angola à de jeunes écoliers. “Elle savait mais ne voulait pas dire la raison de cette souffrance” disent les paroles. Une chanson qui témoigne avec candeur et gravité de l’atmosphère pesante qui planait sur l’Angola à l’aube de l’indépendance. Où la crainte et la méfiance faisaient partie du quotidien du peuple angolais, qui par peur de représailles ou d’être envoyés en prison, ne “parlait pas de politique”. Le titre ne devient disponible pour tous qu’en 1983, lorsqu’il paraît finalement sur vinyle, en clôture de son premier album Estamos Juntos, accompagné du chanteur et musicien brésilien Martinho Da Vila. “Velha Chica” a traversé les générations pour devenir un standard de la musique angolaise et par extension lusophone, reprise entre autres par la fadiste Dulce Pontes ou Maria De Medeiros.
Cesaria – « Sodade » (Miss Perfumado, 1992)
Qui t’a montré ce chemin lointain ?
Qui t’a montré ce chemin lointain ?
Ce chemin pour São Tomé
Saudade, saudade
Saudade de ma terre de São Nicolau
Si tu m’écris, je t’écrirais
Si tu m’oublies, je t’oublierais
Jusqu’au jour où je reviendrai”
Enfin, il était impossible de conclure ce tour d’horizon des chansons d’émancipation de l’Afrique lusophone après la Révolution des Oeillets, sans s’arrêter sur l’éternel “Sodade” interprété par Cesária Évora en 1992. Bien avant la diva aux pieds nus, ce sont tour à tour le Cap-Verdien Armando Zeferino Soares, l’auteur et premier interprète du morceau dans les années 50, puis l’Angolais Bonga qui touchent les cœurs et popularisent cette vibrante complainte. Mais c’est bel et bien la voix drapée de mélancolie de Cesária qui sublima mieux que quiconque, cette histoire déchirante d’exil forcé vers l’île de São Tomé. Un exil déguisé sous forme de contrats de travail, où de nombreux “contratados” cap-verdiens furent envoyés afin de servir de main d’oeuvre pour le compte des Portugais dans les plantations de cacao, dans des conditions proches de l’esclavage.
Une sélection à retrouver dans notre playlist sur Spotify et Deezer.